Pour le plus grand nombre – représenté sur cette photo par les jeunes serveurs en quête d’un autographe de la skieuse Marielle Goitschel ‒, l’important dans les J.O. ce sont les compétitions, les athlètes et leurs performances, pas les officiels ; et c’est bien normal. Mais, dans ce qui suit, c’est justement du rôle de certains de ceux qui ont permis la tenue et le bon déroulement de ces Jeux de Grenoble que je vais parler. Ils ont été très nombreux. Plusieurs apparaîtront dans ces lignes ou sur certaines photos. Impossible de tous les citer. Il faudrait évoquer les quelques dizaines de personnes qui se sont dépensées, avec succès, pour promouvoir la candidature de Grenoble, au début des années 60. Après que le CIO ait attribué les J.O. à Grenoble, le 28 janvier 1964, ils se sont comptés par centaines puis par milliers ceux qui ont travaillé – salariés ou bénévoles ‒ au Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO), les fonctionnaires des différentes administrations concernées, les élus et les employés des mairies où se sont déroulées les épreuves, les architectes et ouvriers des multiples chantiers où le béton coula à flot, les journalistes et techniciens des nombreux médias qui ont couvert l’événement, les militaires qui damaient les pistes et suaient, les hôtesses qui accueillaient et souriaient, les dirigeants et employés des fédérations sportives, les politiques qui, à tous les niveaux, se sont impliqués. Parmi eux, Hubert Dubedout.
Hubert Dubedout et les J.O de Grenoble 68 – 1ère Partie – Pierre FRAPPAT
« Dominer les Jeux olympiques et non pas se laisser dominer par eux »
Hubert Dubedout – Discours d’investiture comme maire de Grenoble – 26 mars 1965
50 ans après, beaucoup se souviennent encore de leurs noms. Les vedettes des Jeux olympiques de Grenoble furent Jean-Claude Killy et ses trois médailles d’or ; les skieuses de l’équipe de France féminine de ski emmenées par Marielle Goitschel, Annie Famose et Isabelle Mir ; la patineuse américaine Peggy Fleming qui chavira le public du Stade de glace et les téléspectateurs dans le monde entier ; les hockeyeurs tchécoslovaques qui ont vaincu les Soviétiques à l’issue d’un match homérique ; l’Italien Franco Nones qui, le premier jour des épreuves de ski de fond, remporta la course des 30 km en surprenant les favoris scandinaves ; le Russe Vladimir Beloussov qui, le dernier jour, sembla survoler Grenoble à partir du tremplin de Saint-Nizier, avec un saut de 101,5 mètres.
Pourquoi faire un sort particulier à celui qui fut maire de Grenoble de mars 1965 à mars 1983 ? On pourrait répondre simplement en disant que c’est d’abord parce que les Jeux de Grenoble lui doivent leur réussite. Certes, il n’a été pour rien dans la candidature de sa ville qui a été portée par son prédécesseur à la mairie, Albert Michallon. Mais quand il est devenu maire, moins de trois ans avant les J.O., presque tout restait à faire. Presque tout. Déjà, des décisions avaient été engagées, en matière d’implantation des épreuves, de desserte des stations et de financement des équipements sportifs. Mais, à 3début des épreuves ; c’est en plus grande partie à Hubert Dubedout que l’on doit que les choses n’aient pas tourné au fiasco. Au moment où se célèbre, avec force manifestations, expositions, publications et reportages, le 50e anniversaire des Jeux olympiques d’hiver de Grenoble qui se sont déroulés du 6 au 18 février 1968, il paraîtrait incorrect et injuste de ne pas évoquer le rôle décisif que joua Hubert Dubedout dans leur réussite. C’est aussi aux mutations de la ville de Grenoble qui accompagnent les J.O. que s’attache l’action de Dubedout et des équipes qui l’entouraient. Ces mutations s’inscrivent encore dans le paysage grenoblois d’aujourd’hui. Cela amène naturellement, au-delà d’un simple bilan, à s’interroger, sur l’héritage des Jeux olympiques de 68.
La candidature de Grenoble portée par Albert Michallon
Pour cette première partie je me calerai sur une chronologie qui va de 1959 à la fin de l’année 1964
1959 – Les précurseurs de la candidature olympique de Grenoble. On dit souvent que c’est le préfet de l’Isère, Francis Raoul, qui, en 1960, a soufflé au maire de Grenoble, Albert Michallon, l’idée d’organiser les J.O. C’est exact. Mais, l’année précédente, en 1959, trois hommes avaient eux-mêmes soufflé cette idée au préfet. Ces trois précurseurs sont Laurent Chappis (architecte-urbaniste, concepteur de la station de Courchevel, en 1946-47, architecte de Bachat-Bouloud, dans les années 50, et plus tard des Sept Laux) ; Georges Cumin (haut-fonctionnaire, aménageur, créateur des Menuires et de Val Thorens) , Raoul Arduin (artisan électricien à Grenoble, président du Comité Dauphiné de la Fédération Française de Ski, vice-président de la FFS). Chappis et Cumin furent associés dans la conception de Roche-Béranger. Ils se firent d’Arduin un complice. Leur but était de promouvoir les stations du Dauphiné, plus particulièrement Chamrousse, cette station aux portes de Grenoble.
Il semble que le rôle du premier dans l’émergence de l’idée d’une candidature ait été prépondérant. Le rôle d’Arduin a sûrement été décisif pour donner de la crédibilité à ce projet de candidature qui pouvait paraître un peu fou. Très introduit dans les milieux du ski en France et en Europe, il était également bien introduit dans le milieu des notables grenoblois qui entouraient Albert Michallon.
1960 – Pourquoi le préfet a-t-il été séduit par l’idée ? La réponse est assez simple : il y voyait une opportunité pour améliorer les équipements de Grenoble et la desserte routière des massifs entourant la ville. Avec l’aide de Raoul Arduin, et des maires des stations iséroises, particulièrement Clotaire Collomb, maire d’Huez et ami du maire de Grenoble, le préfet entreprit de convaincre Albert Michallon.
A partir de là, le rôle d’Albert Michallon devient important.
Albert Michallon s’est laissé convaincre pour les mêmes raisons que celles qui avaient convaincu le préfet. Il l’écrivit en 1965 : « Les Jeux avanceront de près de 20 ans la réalisation de grands projets capitaux pour notre vie quotidienne. » (Dauphiné Libéré, 28-01-1965). Il a compris que Grenoble avait un atout : venir après Innsbruck qui organisait les Jeux en 1964. C’était la première fois que les J.O. n’étaient pas confiés à une station de montagne mais à une ville. Donc, pourquoi pas Grenoble ? La France et l’Autriche dominaient le ski alpin, alors, après l’Autriche, pourquoi pas la France ?
Décembre 1960 – La lettre de candidature de Grenoble fut envoyée au Comité international olympique (CIO) en décembre 1960. Il convient de se rappeler que les J.O. sont confiés par le CIO à une ville et non à un pays.
Janvier 1961 – le CIO accusa réception de cette démarche en demandant que Grenoble constitue un dossier de candidature et l’envoie à temps pour une décision prévue dans le courant de l’année 1963. En fait, le CIO repoussa à 1964 le choix pour les J.O. d’hiver. Le CIO prit soin de rappeler que la candidature devait répondre à toutes les conditions qu’il exigeait. S’est alors constitué à Grenoble un Comité pour la candidature. Il y aurait beaucoup à dire sur la composition de ce comité qui comportait essentiellement des notables, élus locaux et dirigeants sportifs. Pour aller vite, disons que les Grenoblois furent tenus à distance. Il en fut de même après la décision du CIO. Il y a là probablement un début d’explication à la retenue manifestée par la population grenobloise à l’égard de la candidature, puis des Jeux eux-mêmes, y compris pendant la quinzaine olympique. Et peut-être même depuis… Mais il n’y eut pas de mouvement hostile à l’égard des Jeux olympiques. Ainsi, contrairement à ce qui a été écrit, Hubert Dubedout ne manifesta aucune hostilité aux J.O. avant les municipales de 1965. Il n’en alla pas de même, beaucoup plus tard, quand il fut question d’une nouvelle candidature de Grenoble. Cela permet aussi de comprendre pourquoi Albert Michallon ne put pas tirer le profit électoral escompté du succès éclatant qu’il avait remporté en obtenant les J.O. pour sa ville.
Eté 1962 – Diffusion du dossier de candidature. Une brochure de belle allure, où il s’agissait de faire valoir que des équipements existaient déjà et que les dossiers, pour ce qui restait à réaliser, étaient bien avancés. En voici deux exemples.
Quand on relit aujourd’hui ce dossier on est tenté de parler d’une certaine improvisation, sinon d’un coup de bluff. Tout, ou presque, était à faire, ou à refaire…
28 janvier 1964 – On en arrive au jour crucial où Grenoble obtint les J.O. à Innsbruck. Tout au long de l’année 1963 un lobbying actif fut entrepris auprès des fédérations sportives et auprès des membres du CIO. La situation géopolitique de l’époque servit la candidature grenobloise, le camp soviétique privilégiant une candidature française plutôt que nord-américaine. Les délégués du CIO furent, semble-t-il, favorablement impressionnés par le film très habile du réalisateur grenoblois Jack Lesage qui mettait en scène la belle relation des enfants de Grenoble à leur environnement. Le discours prononcé par le maire de Grenoble fut lui aussi très habile. La citation ci-dessous en résume l’esprit. « La ténacité, le dynamisme, l’enthousiasme des hommes de Grenoble et de sa région nous permettent en effet de dire, non pas seulement qu’ils se révèleront capables d’organiser les Jeux de 1968 dans l’esprit et suivant les normes olympiques, mais encore que dès maintenant ils sont prêts. » Fallait-il entendre que les Jeux étaient prêts ou que les hommes de Grenoble étaient prêts à… les préparer ? Quoi qu’il en soit, la majorité des délégués du CIO se laissèrent convaincre. Au troisième tour de scrutin, ils choisirent Grenoble, plutôt que la ville canadienne de Calgary, par 27 voix contre 23.
Eté 1964 – Le Comité pour la candidature s’est transformé en Comité d’organisation des Jeux olympiques. Le COJO se mit en place sous la forme juridique d’une association loi 1901, mais il ne devint opérationnel qu’assez tardivement, à l’automne, alors que tout – ou presque ‒ était à faire. Très vite après Innsbruck, Pierre Randet, haut fonctionnaire d’origine grenobloise, avait proposé ses services à Michallon pour l’aider à pénétrer la haute administration qu’il connaissait bien du fait de ses anciennes fonctions de directeur de l’Aménagement du territoire et d’inspecteur général de la Construction. Les deux hommes avaient été en contact, en 1962, quand Pierre Randet avait proposé Henry Bernard comme architecte-urbaniste au maire de Grenoble. Michallon saisit la balle au bond et proposa à Pierre Randet de prendre la direction du futur COJO. Après différentes péripéties, fin avril, il fut nommé Commissaire aux Jeux olympiques de Grenoble par un décret du gouvernement signé par Georges Pompidou, alors Premier ministre. Pierre Randet prend alors une double casquette : mission interministérielle de coordination et direction du COJO. Il occupa ce poste jusqu’à sa démission remise au Premier ministre, en mars 1966. Il fut alors remplacé par Robert Héraud, directeur de l’Institut national des sports. Ce dernier n’assura que la fonction de directeur du COJO, la coordination interministérielle assurée par le Commissaire étant alors directement prise en charge par le nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, François Missoffe, qui venait de remplacer Maurice Herzog.